Les réserves dans un appel d’offres public sont-elles recevables ?
Non, pour trois séries de raison : 1) un droit des contrats spécifique dérogatoire du droit commun des contrats et permettant la mise en œuvre de prérogatives de puissance publique, 2) le principe d’égalité de traitement des candidats et enfin 3) une évolution récente. Alors que faire ? 4)
1. Les prérogatives de puissance publique
Le droit des marchés publics européen a pour origine le droit français, historiquement le plus structuré.
Le droit français vient en grande part du droit Romain 1.
Les pays latins ont conservé cette distinction du droit écrit et codifié et de la jurisprudence. Ressentant le besoin de créer un état fort mettant en avant la notion d’intérêt général, certains pays latins dont la France ont créé un double ordre de juridictions, celle du droit commun (la Common Law) et celle de l’ordre administratif avec les tribunaux administratifs, les Cours administratives d’appel et enfin le Conseil d’État. En matière contractuelle subsiste cette double juridiction, de droit commun pour les contrats de droit privé et administrative pour les contrats administratifs.
Les contrats conclus par les collectivités publiques et les hôpitaux publics sont des contrats administratifs.
Ces contrats administratifs comportent des prérogatives de puissance publique comme par exemple la faculté de résiliation unilatérale du contrat pour un motif d’intérêt
1 Celui-ci distingue le juridique du judiciaire : un juriste commente les textes fondateurs écrits et codifiés, tandis qu’un juge s’en inspire pour l’adapter aux cas individuels rencontrés. C’est le Code et les Novelles de l’Empereur Justinien.
2 Avec une indemnisation le plus souvent ridicule.
3 Délit d’octroi d’un avantage injustifié, art. 432-14 du code pénal.
général, sous le contrôle du juge administratif2. L’administration contractante peut donc imposer des cahiers des charges et interdire toute modification de ceux-ci. De ce point de vue l’appel d’offres est un contrat d’adhésion.
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L’égalité de traitement des candidats
Par ailleurs l’un des principes fondateurs de la commande publique repose sur la stricte égalité de traitement des candidats. Accepter une réserve d’un candidat dans un marché public serait considéré comme une rupture d’égalité dans la procédure très formelle de l’appel d’offres (puisque les autres candidats auraient accepté ces cahiers des charges en l’état). Dans un appel d’offres les cahiers des charges sont à prendre ou à laisser. Une réserve d’un candidat aux cahiers des charges rend son offre irrecevable. Dans un appel d’offres on ne négocie pas. (Dans un marché négocié, des réserves pourraient au contraire, dans une certaine mesure, faire l’objet d’une négociation).
L’article 59 du décret 2016-360 relatif aux marchés publics définit l’offre irrégulière comme une offre qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation.
Art. 59. – I. – L’acheteur vérifie que les offres qui n’ont pas été éliminées en application du IV de l’article 43 sont régulières, acceptables et appropriées.
Une offre irrégulière est une offre qui ne respecte pas les exigences formulées dans les documents de la consultation notamment parce qu’elle est incomplète, ou qui méconnaît la législation applicable notamment en matière sociale et environnementale.
Les exigences formulées dans les documents du marché comportent de plus en plus souvent l’interdiction formelle de modifier les cahiers des charges ce qui implique leur adhésion en totalité c’est-à-dire sans réserve.
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Une évolution récente : le poids excessif du droit et la crainte de l’annulation de la procédure
Depuis une vingtaine d’années, avec l’importance croissante des préoccupations budgétaires au fur et à mesure que les dépenses hospitalières augmentaient, on a assisté à un glissement de pouvoir des « sachants », médecins, pharmaciens, ingénieurs
2 Avec une indemnisation le plus souvent ridicule.
biomédicaux, vers les directions financières et plus récemment vers les directions des achats. Les structures hospitalières et les groupements d’achat se sont dotés de juristes pour dire et appliquer la réglementation, désormais essentiellement européenne. Il en va de même de l’État ou des collectivités territoriales (régions, départements, communes) qui se sont dotées d’acheteurs référents. De sorte que ce qui était accepté hier, par exemple fermer les yeux sur une réserve d’un soumissionnaire dès lors que le produit ou la prestation était fortement apprécié et recherché, ne passe plus aujourd’hui et constitue un motif de rejet de l’offre. Cette position est d’autant plus radicale que la commande publique française (et elle seule parmi les pays développés) s’est dotée d’un délit pénal spécifique, le délit de favoritisme3. Or la jurisprudence considère une rupture d’égalité comme pouvant constituer le délit. Les établissements publics hospitaliers et toute autre collectivité publique ne prennent donc plus le risque d’une annulation du marché par le juge du contrat (juge administratif), voire de poursuites pénales par le juge judiciaire, en admettant des réserves à leurs cahiers des charges.
En l’état actuel du droit, une réserve dans un appel d’offres est donc très susceptible d’entrainer le rejet quasi systématique de l’offre sans recours possible.
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Alors que faire ?
Cette position trop rigide perturbe beaucoup les entreprises candidates à un marché public, car elles ont l’habitude de négocier dans la sphère privée. Pourtant pour l’acheteur, il est autrement plus sain de contracter avec une entreprises qui analyse ses risques et propose par exemple un plafonnement de pénalités ou un délai un peu plus long pour une livraison qu’avec une entreprise qui ne dit mot et ne saura pas faire, mais entre temps sera devenue titulaire du marché. Des exigences trop importantes ou trop risquées à la charge du soumissionnaire l’incitent souvent à ne pas répondre à la consultation ce qui conduit à une réduction de la concurrence. Certains acheteurs publics parmi les plus avancés se sont rendus compte de la difficulté et commencent à parler de « désarmement contractuel ». Les marchés publics restent des contrats fort déséquilibrés au profit de l’administration et lorsqu’un acheteur cumule dans une même procédure les principales souplesses réglementaires, comme un marché à montants seulement estimés (sans engagement ferme), sur une durée de 1 an reconductible (la reconduction est laissée à la libre volonté de l’acheteur public), sous forme d’accord-cadre multi titulaire (le marché
3. Délit d’octroi d’un avantage injustifié, art. 432-14 du code pénal.
sera donc partagé), on se demande parfois comment une entreprise peut encore être candidate…
Les acheteurs publics les plus agiles essaient de remettre l’économique au centre du contrat, par plusieurs moyens :
- en supprimant tout risque inutile pour les candidats,
- en optant pour des durées fermes,
- en passant des marchés mono titulaire,
- en s’engageant sur des montant fermes ou à minimums contractuels,
- en ouvrant la possibilité de variantes afin d’enrichir leurs offres.
La nouvelle directive européenne incite les acheteurs publics à rencontrer les fournisseurs en amont de la passation d’un marché. On reste stupéfaits de la nécessité d’une telle recommandation alors que cette pratique est couramment mise en oeuvre dans le secteur privé. Il vaut mieux en effet savoir ce qu’il y a en magasin avant d’acheter… Rien n’interdit, au contraire, les entreprises intéressées par les marchés publics de rencontrer en amont du lancement d’une procédure les pouvoirs adjudicateurs pour leur expliquer ce qu’ils sont capables de faire ou de produire, mais aussi ce que sont leurs spécificités et leurs contraintes. L’acheteur public achète de tout mais n’a pas une connaissance aussi approfondie que les prestataires des spécificités de leurs métiers. On éviterait tant de cahiers des charges inadaptés à l’objet du marché et, nous l’avons vu, non modifiables s’agissant d’un appel d’offres. C’est donc dans la prise en compte par l’acheteur de son intérêt économique bien compris et dans l’anticipation par le futur candidat au marché et sa pédagogie dans l’explicitation de ses contraintes4, qu’un marché sera enfin gagnant-gagnant.
4. Lorsque les spécificités tiennent à un métier, qu’elles sont transversales, les explications sur les contraintes rencontrées sont encore plus pertinentes si elles proviennent de la branche industrielle par son organisme patronal et non d’une entreprise isolée qu’on pourrait soupçonner de parler pro domo.
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